La berceuse pour un grand garçon

Do, do, dors, mon trésor

On n’était que deux dans un silence hurlé d’octobre,

Dans le brouillard onctueux des jours chancelants.

On marchait amassant les feuilles tombées, remuant la pénombre,

Regardant les banquises s’emparer du fleuve rugissant.

Do, do, dors, petit cœur

On n’était que deux sous les grappes de sorbier, morsures béantes,

Sous les feuilles de chêne gondolées, pagodes indiennes,

Sous les feuilles d’érable, mains ensanglantées, mains acclamantes,

Sous les feuilles de boulot, pluie dorée, incandescente,

Sous les pattes velues des pins au souffle de résine,

De quoi rêvais-tu, mon enfant, tétant ta tétine ?

Des cols enneigés, des sentiers de silice,

Des océans aux langues écumeuses, des mers d’huile,

Des forêts à la perte de loup,

Des myrtilles qui tâchent les paumes,

Des ruisseaux  qui gèlent les chevilles,

Des déserts parcourus par des serpents à la peau de soie,

Du sable rouge, jaune, bleu et noir,

Des arbres majestueux levant leurs bras,

Des salines à la crinière écrue,

Des fleuves battant la grande crue.

Des chants de tous les peuples du monde,

Des yeux aimants, des vallées profondes,

Des visages aux rires éclatants,

Des étoiles filantes, des terres heureuses.

Do, do, dors, mon grand

Tu grandis comme le jour de printemps.

La nuit j’entre dans ta chambre, te regarde dormir,

Et mes lèvres esquissent une berceuse.

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